avec Caroline Roussel de l’IESEG
Lorsque l’école de commerce IESEG, dans laquelle j’ai fait mes études, a changé de direction en nommant à sa tête Caroline Roussel, on m’a tout de suite confié qu’il était temps d’avoir une femme à ce poste.
Après un parcours de 20 ans au sein de l’école comme professeure en contrôle de gestion, Caroline est donc devenue directrice académique puis DG. Cette attente d’une femme à un poste de direction m’a marqué et fait prendre conscience que, définitivement, nommer une femme DG n’avait rien d’anodin. D’autant plus lorsque l’on succède à un directeur qui est resté en poste pendant 28 ans et donc l’aura (complètement méritée) continue d'imprégner l'institution.
Dans ce contexte, j’ai eu envie d’avoir le point de vue de Caroline sur son rôle de Directrice. Elle me partage le parcours qui l’a mené jusqu’à un tel niveau de responsabilités et la façon dont elle a construit une forme bien à elle de leadership. Surtout, elle évoque l'importance de l’équilibre pour s’inscrire dans la durée et instaurer une relation de confiance et de respect mutuel avec ses équipes.
Se projeter dans un poste de direction
Pour les femmes, se projeter dans un poste à responsabilité, et d’autant plus un poste de direction, est souvent loin d’être une évidence. Dans le cas de Caroline, cette projection a été faite par la direction de l’école avant qu’elle-même ne songe à briguer le poste.
Un bon moyen de trouver ses marques et de se sentir à sa place est de pouvoir bénéficier d’une transition douce, un passage de flambeau avec son prédécesseur.
“J'ai été préparée à travers différentes responsabilités à prendre cette suite. Là où ça s'est vraiment formalisé, c'était avec la création de ce poste de directrice générale adjointe qui n'existait pas auparavant et qui était clairement dans la perspective de travailler pendant 2 à 3 ans en tuilage, en tandem, et de pouvoir assurer cette passation dans la continuité et de la manière la plus fluide possible.”
Cette passation en tandem permet en effet de se sentir soutenue et de pouvoir bénéficier d’un sparring partner avec lequel tester ses idées. Mais elle nécessite aussi de partager une vision et des valeurs communes, et que son prédécesseur accepte de se mettre en retrait sur des sujets importants pour que la prise de poste soit réellement progressive.
De manière générale, prendre un poste de direction se fait plus facilement lorsque ce nouveau rôle est construit dans la durée. S’il n’y a pas de réel déclic permettant de se sentir prête à assurer ces nouvelles responsabilités, l’annonce aux collaborateurs permet de l'officialiser. Leurs commentaires et retours positifs sont un gage de légitimité qui permet d’avoir plus confiance en ses capacités et de se sentir à sa place.
Maintenir l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle pour tenir sur le long terme
La prise d’un poste de direction est aussi facilitée lorsqu’elle est soutenue par son entourage. Caroline en a par exemple d’abord parlé à sa famille, consciente qu’un tel niveau de responsabilité aurait nécessairement un impact sur sa vie personnelle (plus d'événements en soirée, de déplacements, etc.)
L’avantage est qu’arriver à un poste de directrice se fait généralement lorsque notre carrière est déjà bien établie (et donc potentiellement que nos enfants ont grandi). Un élément qui permet de trouver plus facilement son équilibre entre carrière et vie de famille.
“La question, c'est celle de la continuité et de la durée. Je pense que si on n'a pas le bon équilibre au niveau personnel, ça devient plus compliqué d'assumer ce type de responsabilités sur trois, cinq, dix, quinze ans, peut-être 28. “
Arriver à un poste à responsabilité avec plus de maturité facilite également le maintien de cet équilibre du fait même que l’on a tendance à mieux se connaître. On a, avec l’âge, plus conscience de ce qui est non négociable pour préserver notre bien-être, et donc finalement notre productivité. Cela peut être un certain nombre d’heures de sommeil, sans lesquelles on ne sera plus capable de donner le meilleur de soi-même au travail.
La légitimité que l’on a construit tout au long de son parcours professionnel permet aussi de poser plus facilement les limites nécessaires au maintien d’un bon équilibre vie perso/vie pro.
“Je pense que ce n’est pas forcément en étant 12 h par jour derrière son ordinateur, devant son bureau, qu'on va être productif et au service de sa mission ou de ses responsabilités. La semaine dernière, il y a un soir à 18 h, j'arrivais plus à avancer, j'étais fatiguée, Je me suis dit mais arrête de t'acharner, tu rentres ! Et il n'y a pas de problème à quitter le boulot à 18 h. Et au contraire, ça m'a redonné de l'énergie."
Comment se sentir légitime à un poste de directrice
La question de la légitimité est donc centrale dans notre capacité à définir les contours de cet équilibre essentiel à notre bien-être au travail. Elle est aussi essentielle pour se sentir à sa place dans un rôle à responsabilités. Pour Caroline, cette légitimité s’est construite tout au long de son parcours, durant lequel elle a assuré des fonctions de professeure comme de management. Un premier background académique qui facilite la collaboration avec ses équipes (essentiellement des enseignants).
Parmi les qualités essentielles pour se sentir légitime en tant que directrice, il y a aussi celle d’entreprendre, dans le sens d’innover et oser prendre des risques.
“Je peux lancer de nouveaux projets et ce sont ces projets-là qui vont façonner le futur de l'école. Donc je ne suis pas entrepreneuse au sens où je n'ai pas créé ma propre structure, mais je suis intrapreneur au sein de l'école IESEG. Donc je pense qu'il faut oser sortir des sentiers battus, il faut aller chercher des idées auprès de ses parties prenantes, auprès des entreprises, des étudiants, des diplômés et puis se dire : essayons, expérimentons. Si ça fonctionne, tant mieux, ça nous fera prendre un coup d'avance.“
Donner du sens à son leadership
Une autre qualité essentielle à tout bon leader est la capacité (et la volonté) de faire grandir ses équipes. Pour Caroline, on ne dirige pas seule mais avec les autres et pour les autres. Cela implique donc de donner du sens à son leadership et de créer un environnement de travail dans lequel ses collaborateurs se sentent à la fois challengés et libres d'entreprendre.
Cela peut passer par le fait de créer des temps d’échanges, des événements et opportunités de socialisation qui sont autant d'occasions de co-construire et donner du sens à son leadership.
“Je suis convaincue de l'importance de la machine à café et de la salle de pause parce que je rencontre plein de collègues que je n'aurais pas rencontrés autrement dans ma journée.”
Ces moments de dialogue sont essentiels pour partager des idées et s’assurer d’avancer dans le même sens. Mais ils nécessitent une relation de confiance, qui donne à chacun la liberté de partager des points de vue qui ne sont pas toujours concordants. Cette confiance et ce respect mutuel restent centraux, même lorsque la relation de travail est amenée à prendre fin.
Lorsque l’on est pas alignées ou que la confiance a été brisée, il faut être capable de prendre la décision qui s’impose et d’arrêter une collaboration. Mais cela ne doit jamais se faire de manière brutale et au contraire être accompagné par la direction afin que la relation prenne fin le plus respectueusement possible.
“Je pense que si ça se passe de manière brutale, ça veut dire qu'il n'y a pas eu de dialogue en amont et ça veut dire qu'on n'a pas fait de feedback, Ça veut dire qu'on s'est pas dit qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas dans la relation. Comme je l’ai dit, ce qui motive et qui est un peu mon fil conducteur, c'est l'accompagnement, le développement.”
L’équilibre comme une valeur centrale pour transformer son organisation
Parmi le principal chantier sur lequel elle a travaillé en tant que directrice de l’IESEG, Caroline a participé à en définir la nouvelle stratégie. Cela suppose là encore de se projeter sur le long terme, mais aussi d’accepter les imperfections actuelles. Une organisation reste un organisme vivant, qui évolue continuellement. Accepter que rien n’est parfait permet de s’améliorer et d'œuvrer pour que le projet que l’on souhaite développer soit plus aligné avec ses valeurs.
Parmi ces évolutions continuelles, on observe par exemple la féminisation des postes. Au sein de l’IESEG, la diversité ne passe pas par l’établissement de quotas mais par la reconnaissance, à tous les niveaux de l’organisation, des bénéfices d’avoir un staff varié.
Là encore, la notion d’équilibre, entre les hommes et les femmes mais aussi les différentes nationalités, est une valeur cardinale de Caroline comme de l’institution dont elle a pris la direction. Elle ne l'applique d’ailleurs pas uniquement à ses équipes, mais aussi à ses étudiants. La réforme du baccalauréat a par exemple eu pour effet secondaire de voir la parité dans les effectifs étudiants basculer en défaveur des étudiantes.
Un constat qui impose, pour préserver cet équilibre, de faire évoluer les modalités d’entrée à l’école pour s’assurer que chacun et chacune ait accès aux mêmes opportunités.
Se faire confiance pour inspirer confiance
Je termine toujours les épisodes du podcast en demandant à l’invitée les conseils qu’elle donnerait à la femme qu’elle était lorsqu’elle a débuté sa carrière. Sans hésiter, Caroline m’a répondu qu’elle aurait aimé s'entraîner plus tôt à prendre la parole en public, une compétence centrale lorsque l’on est professeure comme directrice.
Aux générations de futures jeunes directrices et directeurs, elle donne le même conseil…. Celui de se faire confiance et d’oser. C'est à ce prix que l’on peut être véritablement acteur de sa carrière, mais aussi inspirer confiance aux autres.
Toute l'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin Ep.4 – On ne dirige pas seule et on ne dirige pas pour soi, mais on dirige avec les autres et pour les autres
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