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Réinjecter du vivant dans l’entreprise

Dernière mise à jour : 9 mai

avec Ingrid Vanhée, Directrice Générale Adjointe de Noé


Ingrid Vanhée est connue depuis un peu plus d’un an sur LinkedIn pour redonner une place aux animaux sur un réseau social souvent déconnecté de cet univers. Mais c’est un autre de ses posts qui a attiré mon attention. Elle y poussait un coup de gueule sur la remise en question de la capacité des femmes à bivouaquer en solo et faisait un parallèle avec la remise en question constante des femmes dans la société sur leur capacité à faire.


Ces prises de position m’ont donné envie de m’intéresser au parcours d’Ingrid. J’ai découvert qu’elle évoluait dans des postes de direction depuis 2014 et qu'elle avait co-fondé Monkey Tie et la Bourse de l'exploration. Encore aujourd’hui, elle est très investie dans le milieu associatif, notamment en tant qu'administratrice du fonds de dotation Paul-Émile-Victor.


En septembre 2023, elle commence un nouveau poste chez Noé, une association spécialisée dans la préservation de la biodiversité, en tant que directrice générale adjointe. Une carrière professionnelle extrêmement riche pour une femme qui fait aussi l’éloge de l’inaction ! Dans cette première partie de nos échanges, j’ai eu envie d’en savoir plus sur sa vision du pouvoir, à la fois à travers son parcours, mais aussi dans sa rencontre plus personnelle du vivant.


On parle de créer du lien en entreprise, d’ouvrir son champ des possibles en faisant un pas de côté dans sa carrière, mais aussi de rester soi-même au travail et d’impulser le changement en équipe.


La nature qui prend vie entre des mains humaines

(Re)créer du lien dans l’entreprise


Lorsque l’on est une femme en entreprise, il est parfois difficile de trouver sa place. On se retrouve souvent dans la position inconfortable de s’excuser d’être soi, d’essayer de pallier ce que l’on perçoit comme un manque de compétences et d’expérience.


“Les difficultés, c'est un peu toujours les mêmes : la difficulté à assumer qui on est, à ne pas regretter de ne pas être l'autre, à réussir à s'intégrer dans un environnement dans lequel on se dit qu'on ne fait pas forcément partie naturellement.”

Une des principales missions lorsque l’on est à un poste de direction, est de faire ressortir le meilleur des personnes avec lesquelles on travaille, mais aussi faire émerger le potentiel de leurs interactions. Se sentir à sa place, c'est aussi valoriser notre capacité à créer des ponts entre les gens.


Car bien souvent, les entreprises misent sur les capacités individuelles, mais pas assez sur les interactions personnelles. C’est pourtant un non-sens lorsque l’on s’intéresse à la biodiversité et aux liens qu’elle tisse entre tous les êtres et organismes vivants.


“A partir du moment où vous comprenez le sujet du vivant, que tout n'est qu' interactions, et qu'une entreprise, c'est une grosse boîte dans laquelle il n'y a que du vivant, vous comprenez aussi qu’une équipe, ce n'est que des interactions”.

L’enjeu est donc d’essayer de retranscrire cette logique dans le monde de l’entreprise. De recréer du lien dans un environnement où on en manque cruellement.



Être dans une position de support pour ses équipes


Lorsque l’on occupe un poste de direction, on est souvent amené à travailler avec des experts. Notre rôle est alors de créer de la valeur et de tisser des liens entre eux.

“Mon rôle est un job de service. J'ai une fonction de support. Je sais que dans beaucoup d'entreprises, c'est connoté négativement. Mais le support, c'est indispensable. Sans ça, tout s'écroule.”.

En tant que directrice générale, on fait donc office de tuteur. Notre mission est de créer les conditions nécessaires pour que les personnes de notre équipe puissent fonctionner et travailler au mieux. Et ainsi leur permettre de développer leur mission, lancer des projets, etc.


Pour créer cet environnement favorable et remplir son rôle de support, les ingrédients clés sont :


  • La confiance : seul un climat de confiance permet à ses collaborateurs de s'engager au maximum de leurs capacités (tout en se posant des limites saines) ;

  • L'écoute : on ne gère pas des robots et des KPI, mais des hommes et des femmes qui ont besoin de se sentir écoutés et compris ;

  • Le collectif : les être humains sont des animaux sociaux. Ce sont les interactions humaines et la capacité à impulser une dynamique collective qui nourrissent notre engagement et nous donnent envie de rester dans une entreprise.



Ouvrir son champ des possibles


Ce n’est pas parce que l’on aime beaucoup son travail que l’on a pas parfois envie de prendre du recul. C’est ce qu’a fait Ingrid en prenant une année sabbatique pour se reconnecter avec le vivant. Un pas de côté salvateur qu'il est beaucoup plus facile de faire lorsque l'on comprend que l'on a pas grand chose à y perdre.


“Il faut relativiser tout un tas de décisions que l'on imagine extrêmement engageantes dans sa vie. Parce qu'au pire, on recommencera par trouver un boulot qui ne nous passionne pas, mais qui nous permettra de payer les factures”.

Relativiser permet aussi de ne pas se mettre la pression et d'ouvrir au maximum son champ des possibles. Ce type de projet personnel se construit souvent au fur et à mesure. Mais on peut y poser un cadre pour se rassurer, et se fixer par exemple une période d'un an.


Ensuite, il ne nous reste plus qu'à nous écouter et à nous laisser surprendre. On découvre alors que cette parenthèse était exactement ce dont on avait besoin pour aligner notre vie professionnelle avec nos valeurs.


S'écouter signifie aussi parfois ne pas laisser son entourage influencer une décision personnelle que l'on sait bénéfique et dont on maîtrise la prise de risque. Il faut néanmoins accepter de ne pas réussir à convaincre les autres du bien fondé de notre décision, parce que l'on ne sait pas toujours nous-même ce que l'on fait. Là encore, relativiser permet de se rendre compte que ces oppositions ou incompréhensions ne sont pas très graves, et qu'elles font peut-être même partie de ce processus intérieur.



Voyage solo féminin et prise de risque


Le voyage solo au féminin est souvent mal perçu car jugé risqué. Cette prise de risque ne devrait cependant pas annuler l’envie que peut avoir tout individu, et les femmes en particulier, de partir seule à l'aventure. Il ne faut pas s'arrêter de faire des choses uniquement parce qu'elles sont risquées. D'autant plus que voyager en solitaire permet de se retrouver seule face à soi-même et donc de se découvrir.


C'est aussi un bon moyen de se créer un sas de décompression, et de ne pas laisser les autres parasiter nos choix de vie. Ces moments seule sont nécessaires pour se construire et pouvoir, par la suite, construire avec les autres et vivre de belles choses en communauté.



Rester soi-même en ville comme en entreprise


Une fois que l'on retourne à “la réalité”, comment réussir à rester soi-même en milieu urbain et dans le monde de l'entreprise ? Comment rester dans cette matière brute qui est la plus vraie dans une société qui est tout sauf brute et vraie ?


Une piste peut être d'apprendre à ouvrir les yeux sur les petites bulles de biodiversité qui subsistent même dans une grande ville comme Paris. La clé, c'est de regarder ce qui nous entoure différemment et de réfléchir à la manière dont on veut vivre dans cet environnement tout en étant plus connecté à la nature.


L'enjeu est aussi, dans sa vie professionnelle, de réintégrer le vivant dans l'entreprise et sa direction. Cela peut passer par une première phase de réflexion, d'absorption de son environnement, avant d'être dans l'action. Cette “pause” permet de relativiser le monde de l'entreprise et de comprendre qu'il peut aussi s'y passer de bonnes choses.


“Dans l'entreprise, on parle d'abord à des humains qui ont envie ou pas de contribuer à un projet qui est collectif. Et moi, c'est ça qui me plaît dans ce que je fais.”

Se concentrer sur l'humain permet aussi de se détacher des mesures, souvent artificielles, que l'on pense être à l'impulsion du changement. Les KPI sont souvent uniquement un outil pour rationaliser ce que l'on porte déjà en nous. Ils viennent appuyer nos convictions profondes. Mais si l'on a pas cette petite flamme intérieure qui nous motivent à faire mieux, alors les chiffres ne servent à rien.



Impulser un changement dans sa société et dans la société


Pour changer notre entreprise, et la société en général, il faut d'abord accepter de se planter, de tester plein de choses et d'écouter ce que nous dit notre instinct.


Le plus important peut-être est d'accepter ses propres limites et celles des autres. Parfois, certaines rencontres sont de belles surprises, et parfois la rencontre ne se fait pas. Là encore, ce n'est pas très grave. Cette prise de distance est salutaire, en particulier lorsque l'on est engagé. Elle permet de réaliser que l'on a plus de prise sur des personnes qui sont déjà convaincues par notre cause. Mais si on arrive à les unir pour qu'elles œuvrent ensemble, c'est déjà un énorme pas en avant.


L'engagement en faveur du changement peut aussi se faire de manière différente, selon notre sensibilité personnelle. Il peut s'inscrire dans l'armée, l'associatif, ou même l'entreprise. Le tout est de trouver un équilibre pour préserver son propre bien-être, relativiser son impact et se dire que l'on ne peut pas sauver le monde tout seul.


“Mais réussir à jongler avec ça, je pense que c'est le travail d'une vie. Quand on a un boulot auquel on croit et une cause qui nous tient à cœur, trouver l’équilibre est compliqué. Car l'équilibre, par nature, c'est quelque chose de précaire et qui doit se construire et reconstruire tous les jours, toutes les heures”.



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