Exploration des quotas de genre : Impact et controverses dans le monde professionnel
« Le blues des hommes à l'ère des quotas » titre Ariane Blanchet pour Les Échos Start en février 2023. Malgré l’évolution significative des droits ainsi que la reconnaissance des compétences féminines depuis 1965, les stratégies comme les quotas et la discrimination positive, bien que, conçues pour encourager l’équité, soulèvent des questions complexes sur leur efficacité et ce qu’elles impliquent. Certain·es y voient un moyen indispensable pour corriger les déséquilibres historiques et sociétaux et d’autres y perçoivent une approche réductrice, voire contre-productive. Quels sont les mécanismes de recrutement des femmes à des postes clés ? Quels sont les progrès et les défis persistants ? Les mesures prises ont-elles vraiment un impact positif ? Comment créer un système plus égalitaire sans imposer ?
Vers l'équité par la contrainte : qu’est-ce que la politique des quotas ?
La mise en place de quotas est une discrimination positive conçue pour rééquilibrer la répartition des genres, notamment, dans les rôles de direction et de prise de décision.
Cette initiative cherche à instaurer des normes minimales de représentation féminine dans des domaines où elles sont généralement sous-représentées, tels que les conseils d’administration, les fonctions politiques, ou d’autres postes à hautes responsabilités.
En effet, dans l’enquête « Gender Diversity on Boards: The Appointment Process and the Role of Executive Search Firms » les autrices démontrent que les recruteurs favorisent davantage les profils qui leur ressemblent. Ainsi, les conseils d'administrations auront tendance à sélectionner des hommes pour les postes de direction puisqu’ils sont eux-mêmes principalement composés d’hommes.
Les quotas viennent alors mettre en lumière l’absence de femmes et montrer la nécessité d’élargir les conditions de recrutement afin de permettre à toutes d’obtenir les opportunités qu’elles méritent.
« Moi, je me suis rendue compte dans certains parcours, et notamment dans les groupes, que les hommes parfois n'ont même pas besoin de parler pour évoluer. C’est-à-dire qu’on est obligées d’en faire 100 fois plus. » Florence Caghassi Jouni, DG Associée de Dynergie
Des pays comme la Norvège, la France et l'Italie ont adopté des législations imposant des quotas de genre dans les conseils d'administration, entraînant des augmentations significatives de la représentation féminine. En France, depuis 2013, la proportion de femmes dans les conseils départementaux a bondi de 14% à 50%.
En adoptant ces pratiques, les entreprises peuvent non seulement respecter les quotas mais aussi créer un environnement de travail plus inclusif et diversifié. Cela permet non seulement d'attirer une gamme plus large de talents, mais aussi de favoriser un climat de travail où tous les employés se sentent respectés et valorisés pour leurs contributions.
II- Les bénéfices de la discrimination positive en milieu professionnel
La discrimination positive s’avère être un levier significatif pour l’instauration d’une équité au sein des structures professionnelles. Il est essentiel de reconnaître l’impact et les avancées qu’elle permet d’engendrer. En voici quelques exemples :
Un outil efficace : Par leur caractère contraignant, les quotas imposent aux entreprises de s'engager concrètement en faveur de la parité. Ils sont utiles lorsqu’ils sont correctement appliqués et assortis de sanctions en cas de non-respect. Toutefois, ils ne résolvent pas à eux seuls les problématiques liées aux inégalités de genre.
Un accélérateur de changement culturel : L’introduction de quotas impose une réflexion profonde sur les pratiques de recrutement mais également les stéréotypes de genre prévalant dans les entreprises. Cette approche permet d’éviter l’embauche du ou de la premier·e candidat·e qui semble remplir les critères requis, mais aussi à repenser ces mêmes critères afin qu’ils reflètent une meilleure diversité. Elle vient contrer les biais inconscients qui peuvent influencer les décisions et élève le niveau d’exigence lors des recrutements.
Un créateur d’une nouvelle dynamique : Les quotas, bien qu’initiés pour minimiser la focalisation sur les absences liées à la maternité, pourraient engendrer un cercle vertueux où une plus grande représentation féminine encourage davantage de candidatures féminines à divers postes, favorisant ainsi un changement culturel et une possible dissolution du « Boy’s club » : diviser un peu, non pour régner, mais pour prendre un peu sa place.
Un investissement rentable : Cette stratégie peut non seulement contribuer à alléger le plafond de verre, mais enrichit également les perspectives au sein des organisations, ce qui est susceptible d’améliorer la qualité des décisions et la performance globale. L’intégration féminine vient diversifier les compétences et offre des points de vue plus variés selon l’étude « Managing Diversity and Glass Ceiling Initiatives as National Economic Imperatives » de Cox et Smolinski. Cela permet de mieux répondre aux attentes des clients et injecte de l’innovation dans les processus. Selon l'Organisation Internationale du Travail, 75% des sociétés promouvant la diversité observent une hausse de leurs profits, variant entre 5% et 20%. Dans la même lignée, grâce à leur management assertif, les femmes fidélisent davantage les employé·es, réduisant le turn-over, impliquant donc un gain d’argent.
Tremplin vers plus d’équité dans le monde professionnel, la discrimination positive initie des changements structurels. Toutefois, malgré ses avancées, elle n’est pas exempte de critiques et soulève des questions quant à ses répercussions à long terme.
III- Entre ambition et réalité : Les défis de l'implémentation des quotas
« Il me semble mieux, effectivement, de ne pas dire à tout prix : "Je vais mettre autant d'hommes que de femmes". Parce que ça n'a pas de sens. » Ann Avril, DG de l’UNICEF France
Alors que les quotas de genre s’imposent comme une solution envisagée pour corriger les déséquilibres dans le monde professionnel, leur efficacité et leur pertinence sont sujettes à débat. Si, d’un côté, ils incarnent un pas vers la parité en imposant une certaine représentativité, de l’autre, ils révèlent des limites et des défis dans leur application. Ses impacts peuvent être parfois contre-intuitifs au sein des entreprises, s’ils ne sont pas mis en place correctement :
Sans s’adresser à d’autres enjeux majeurs tels que l’équité salariale ou les discriminations quotidiennes, elle n’offre qu’une égalité de façade.
Sa mise en œuvre peut s’avérer difficile dans des secteurs traditionnellement dominés par les hommes et dans lesquels les femmes restent peu nombreuses.
Elle peut aussi alimenter la stigmatisation, laissant penser que les nominations féminines reposent sur le genre plutôt que sur le mérite.
Rien ne garantit que les femmes en position d’autorité favoriseront d’autres femmes ou encourageront la sororité.
Elle impose également une pression accrue sur les femmes qui se voient contraintes de démontrer leur compétence et leur engagement au-delà des attentes, particulièrement en contournant les stéréotypes liés à la maternité.
Par conséquent, les mesures de discrimination positive et notamment les quotas visent à encourager la parité des genres en milieu professionnel, ils engendrent également des interrogations quant à leur effet sur le parcours professionnel des femmes. Les préjugés associés à ces politiques peuvent mener à des attentes accrues envers les femmes, les exposant à d’autres phénomènes sexistes. Au-delà du simple recrutement les quotas se travaillent en amont et n’ont pas de sens sans sensibilisation.
IV- Vers une représentativité équilibrée : Pratiques innovantes en recrutement
Afin d’augmenter la part de femmes dans les comités de direction ou dans les entreprises tout simplement, il est nécessaire que les entreprises puissent mettre en place d’autres actions au-delà du recrutement comme :
Création d'outils de communication inclusifs : Il est important que l’image de l’entreprise reflète clairement l’engagement envers la diversité. Cela comprend la rédaction de fiches de postes qui encouragent des candidat·es de tous horizons à postuler, ainsi que l'utilisation de plateformes de recrutement reconnues pour leur approche inclusive (Agir avec nous, Mozaïk, Intérim Inclusif…).
Mise en place d'un processus de sélection des CV inclusif : Des critères de sélection objectifs pour éviter les biais inconscients dès la première étape du processus de recrutement doivent être développés. L'utilisation de logiciels ou de méthodes de tri anonyme peut aider à évaluer les candidatures uniquement sur la base des compétences et des expériences pertinentes, sans considération de genre, d'origine ethnique ou d'autres facteurs non pertinents.
Standardisation des entretiens : Créer une grille d’évaluation commune permet de soumettre tout·es les candidats aux mêmes types d'entretiens. Demandez-vous : « Est-ce que cette question serait posée indépendamment du genre du/de la candidat·e ? ». Cela garantira que tou·tes les candidat·es sont évalué·es de manière équitable et sur un pied d'égalité.
Établissement d'un processus de recrutement et d'évolution des talents global : Votre politique RH doit intégrer les quotas de manière à respecter et à promouvoir activement la diversité dans votre entreprise. Cela implique une réflexion stratégique sur la manière dont chaque étape du processus contribue à atteindre cet objectif, depuis la promotion des postes jusqu'à l'embauche et l'intégration des nouveaux employés.
Initiés pour corriger une sous-représentation historique des femmes dans les postes de direction et de décision, les quotas cherchent à bousculer les normes établies, proposant un cadre contraignant pour favoriser la diversité et l'inclusion. Cependant, loin d'être une solution miracle, ils posent également leur lot de questions éthiques et pratiques. Entre le risque de stigmatisation et les défis d'implémentation, leur efficacité à long terme reste sujette à interrogation. Comment penser au-delà de la simple numérisation de l’égalité ? Il est impossible d’instaurer une véritable équité en entreprise sans s’attaquer de manière globale aux racines culturelles et structurelles des inégalités de genre.
Les quotas ne sont que le début du chemin vers l’équité de genre. Ils exigent un engagement constant de tous les acteurs du monde professionnel, mais également de l'innovation, de l’adaptation et de la volonté de la part des entreprises. Finalement, est-ce que la question fondamentale ne serait pas de savoir comment créer des environnements de travail où chaque individu, indépendamment de son genre, peut s’épanouir pleinement et contribuer à son plein potentiel ?
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Sources :
Doldor, Elena & Vinnicombe, Susan & Gaughan, Mary & Sealy, Ruth. (2012). Gender Diversity on Boards: The Appointment Process and the Role of Executive Search Firms.
Cox Jr, T., & Smolinski, C. Managing diversity and glass ceiling initiatives as national economic imperatives. Federal Publications, 1994, 1-35.
Podcast « Le pouvoir au féminin », Épisode 19, Ann Avril, DG de l’UNICEF France
Podcast « Le pouvoir au féminin », Épisode 14, Florence Caghassi Jouni, DG Associée de Dynergie
Pour en savoir plus sur leleadership des femmes et ses impacts en entreprises : https://www.lepouvoiraufeminin-podcast.fr/post/assertivit%C3%A9-et-femmes-au-pouvoir-une-%C3%A9volution-du-leadership
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