Beaucoup de femmes qui arrivent à des postes de direction expriment leur déception ou leur sentiment d’inadéquation. Certaines se disent que cela sera trop compliqué, non pas par fausse modestie ou manque de confiance en elles, mais parfois parce qu’elles n’ont pas envie de se confronter aux problématiques, surtout humaines, qui les attendent.
Pour approfondir ce sujet, j’ai eu la chance d’échanger avec Caroline Loisel, aujourd'hui dirigeante de Be Birds, spécialisée sur le futur du travail. Avant de se lancer dans l’aventure du podcast avec Sur l’oreiller, dans lequel elle creuse le sujet des relations femmes/hommes et du rapport à son masculin et à son féminin, elle revient avec nous sur son début de carrière dans le numérique, à des postes de direction.
Elle nous explique pourquoi son entrée dans un CODIR (Comité de Direction) lui a fait dire que cette façon de travailler n’était pas pour elle et comment créer une direction plus humaine et un pouvoir plus distribué.
Pour un management de la confiance
Pour Caroline, la question des inégalités hommes/femmes au travail a longtemps été un non-sujet. C’est le cas pour beaucoup de femmes qui changent régulièrement d’entreprise, et qui n’ont donc pas le temps de se briser sur le plafond de verre. Néanmoins, lorsqu’elle doit prendre son premier poste de directrice, poste qui lui avait été promis à l’embauche, elle se retrouve finalement à un niveau en dessous, sous la responsabilité d’un directeur.
Une situation qu’elle vit comme une injustice mais qu’elle accepte, car le projet l’intéresse. Elle la confronte aussi à un directeur qu’elle ne perçoit pas forcément comme légitime et qui lui refuse sa confiance. Or, que ce soit pour manager ou collaborer, la confiance est un ingrédient absolument indispensable.
“C'est une première réunion, donc la classique to do list et je prends mes notes. Ça ne faisait même pas dix minutes que j'étais installée à mon bureau que je reçois un email avec le compte rendu de tout ce qu'on s'est dit d'un ton assez, on va dire neutre pour ne pas dire froid. Et moi en fait, ce que je ressens à ce moment-là, c'est que cette personne ne fait pas confiance”.
Comme le dit Hemingway, la seule façon de savoir si l’on peut faire confiance à quelqu’un, c’est de lui faire confiance. Si certaines personnes ont besoin d’être encadrées (comme une forme de réassurance), l’expérience veut aussi que l’on se sente suffisamment à l’aise sur son sujet pour ne plus avoir besoin de cadre. La confiance que l’on accorde à ses collaborateurs est aussi une forme de respect et d’estime qui, si elle venait à manquer, peut être le signal que la collaboration risque d’aller droit dans le mur.
Dévoiler la mascarade de la direction
Lorsqu’on intègre pour la première fois un CODIR, la première impression que l’on en a souvent est qu’il s’agit d’un boy’s club. Dans leur grande majorité, les femmes y sont minoritaires, ce qui peut en soit instaurer une forme de malaise chez celles qui intègrent ces espaces de pouvoir. Et ce manque de représentation, mais aussi d’expérience de ce qu’est un Codir et de ce qui s’y passe, crée parfois une forme de dissonance entre l’image que l’on s’est construite et la réalité.
“Il y a une grande part de naïveté chez moi. J'ai eu des illusions un peu perdues sur le fait d'être à la direction. Je pense que j'avais mis la barre beaucoup trop haute par rapport à une réalité qu'on m'avait jamais décrite.”
Lorsqu’elle intègre son premier Codir, Caroline a l’illusion que l’on y prend les grandes décisions. Elle découvre qu’assez souvent, ces dernières sont prises ailleurs, dans un plus petit comité avant le Codir, qui ne vient que valider ce qui a déjà été décidé au préalable.
Cette mascarade du pouvoir entraîne des cafouillages sur la réelle mise en application de ce qui est voté pendant le Codir et sur la manière opaque dont s’exerce le pouvoir, sans réel contrôle de la totalité de celles et ceux qui ont été désignées pour l’occuper. Cela pose aussi la question de devoir porter des décisions que l’on a pas prise auprès de ses équipes et de la marge de manœuvre qui nous est octroyée pour les contester lorsqu’on les juge réellement injuste (comme le licenciement d’un collaborateur, par exemple).
Afficher ses défis plutôt que ses succès
La mascarade du pouvoir s’exprime également dans la manière dont chacun fait le choix de présenter ses missions sous le jour le plus positif possible. Durant les Codir, les différents directeurs évoquent rarement les défis ou problèmes qu’ils rencontrent et ne partagent donc pas un retour d’expérience qui serait pourtant précieux pour aider leurs équipes à les dépasser. L’ordre du jour se limite bien souvent à une revue des succès de chacun, sans beaucoup de réflexion sur les erreurs commises et donc les leçons qui en ont été tirées.
Dans un excellent sketch, l’humoriste Lucie Carbone nous dit que dans une entreprise, quand on ne sait pas quelque chose, on utilise l’euphémisme “je prends le point”. Pourtant, reconnaître ses angles morts et créer une culture de travail dans laquelle admettre que l’on ne sait pas n’est pas perçu comme honteux serait bien plus bénéfique à l’organisation dans son ensemble.
Refuser un poste de direction pour se lancer à son compte
Lorsqu’on lui propose un poste de direction dans lequel elle aurait du manager un grand nombre de personnes, Caroline décide de dire non. Elle a désormais une expérience plus approfondie de ce type de missions et sait pertinemment que la grande majorité de son temps sera dédié à des comités de pilotage et de direction transverse, et donc à du reporting. Or elle, ce qui l’intéresse, c’est de gérer une équipe à taille humaine et de pouvoir se concentrer sur l’opérationnel.
C’est une décision que prennent de nombreuses femmes qui, après s’être frottées aux instances de pouvoir en entreprise, décident que ce n’est pas pour elles. Arrivée à un certain stade dans sa carrière, on ne se demande plus quel poste on veut, mais ce dont on ne veut plus (que ce soit en termes de missions et d’environnement de travail). Or quand notre métier continue de nous passionner, c’est que c’est le monde de l’entreprise qui ne nous attire plus et qu’il est peut-être temps de se lancer à son compte.
Devenir solopreneure, c’est gagner en liberté, pouvoir maîtriser son emploi du temps… Bref, intégrer un Codir dont on est la seule et unique membre.
“Quel kiff d’avoir la journée entière pour faire la rentrée scolaire. Mais quel bonheur, mais quel soulagement de pouvoir commencer son mois de septembre en prenant sa journée pour aller faire les courses tranquilles avec son enfant”.
Quel futur pour le CODIR ?
Sans aller jusque-là, on peut aussi repenser le pouvoir en entreprise pour qu’il soit plus humain et donc plus attirant pour tous les profils, y compris les profils de directrices. Finalement, le futur du Codir pourrait être plus distribué. Il serait rebaptisé Comité d'Accompagnement, et prendrait des décisions sur un périmètre d’action limité.
“Il ne traiterait que de certains sujets, des sujets prospectifs, des sujets de fusion/acquisition, de rachat, de nouveaux postes à créer, des sujets moyen/long terme quoi. Et pour moi, le reste est tout à fait gérable par l'ensemble des équipes, à condition de leur faire confiance”.
De nombreuses entreprises fonctionnent déjà sur ce modèle, en créant des cercles décisionnaires gérés par des binômes qui garantissent l’atteinte des résultats attendus. Cela suppose aussi de dédier 20 % du temps de chacun des collaborateurs à des sujets transversaux et qui impactent donc le collectif (événements de rentrée, stratégie de recrutement, etc.)
Aux nouvelles générations de directeurs et directrices, Caroline conseille donc de faire le deuil d’un pouvoir centralisé, capté par des sachants qui auraient le pouvoir sur leurs subordonnés. Elle souhaite aller vers un pouvoir plus distribué, partagé, qui se limiterait à de l’influence ou la capacité d’embarquer ses équipes.
Pour cela, elle nous invite à :
Créer une entreprise plus humaine qui se concentre sur des objectifs réalistes et atteignables ;
Capitaliser sur notre côté féminin et masculin (soit nos forces comme nos vulnérabilités) ;
Prendre notre place et l’investir (si on ne veut pas que quelqu’un d’autre l’occupe à notre place) ;
Apprendre à faire confiance et écouter vraiment les autres (voire à laisser la parole lorsque l’on a, de par son genre - masculin - eu tendance à la monopoliser).
Toute l'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin Ep.7 – « J’ai complétement surestimé comment pouvait se déroulé un comité de dirigeant. »
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