Dans ce nouvel épisode du Pouvoir au Féminin, je reçois Aurélie Clemente Ruiz, directrice du Musée de L'homme, avec un grand H. Après 18 années passées à l'Institut du Monde Arabe, dont neuf comme directrice du département des expositions, mais aussi des postes de professeur d'université à Paris-Sorbonne, Abou Dhabi et à l'École du Louvre. Aurélie est aujourd’hui la première femme directrice du musée de l’Homme.
Souvent ramenée à ce seul titre et donc à son genre, je voulais aujourd’hui échanger avec Aurélie sur son projet pour le musée et sa volonté de co-construire son avenir avec ses équipes.
J'ai aimé sa posture d'ouverture et d'écoute ainsi que son envie de mener un travail de fond pour faire évoluer son institution, la culture et plus largement la société. Pour Aurélie, on doit pouvoir parler de tout, même des sujets qui fâchent. Dans le cadre de nos échanges, elle nous donne sa méthode pour instaurer une discussion saine et constructive.
Passer de l’ombre à la lumière : une transition naturelle ?
Lorsque l’on arrive à un poste de direction, d’autant plus quand il est autant médiatisé (dans la presse spécialisée et généraliste), la transition de l’ombre à la lumière peut être compliquée. Dans le cas d’Aurélie, il s’est fait progressivement, le contact avec les médias faisant déjà partie de son travail de chargée d’exposition. Néanmoins, consciente que l’on est pas toujours prêt à se mettre en lumière, elle propose désormais à ses équipes une formation en média training.
Une fois que l’on arrive dans la lumière, l’enjeu est ensuite de ne pas se laisser réduire à son genre. Surprise par le positionnement des médias, qui se limite à l’accroche “Première femme à diriger le musée de l’Homme”, Aurélie s’est employée à remettre son projet au centre des discussions.
“Forcément, la blague fait sourire, c'est une super accroche. Mais sur le fond, je trouve ça un peu dommage de se limiter à ça. Alors heureusement, il y a eu des articles qui expliquaient quand même mon projet, ce que j'allais apporter à ce musée et pas juste le fait que je sois une femme”.
Transformer une institution historique en passant à une culture plus collaborative
Face au défi que représentait le défaut d’identité du Musée de l’Homme (dont on peine à identifier l’essence), Aurélie s’est donc attelée à la redéfinir. Pour cela, elle a opéré une petite révolution dans une institution presque centenaire (le musée à ouvert ses portes en 1937) : instaurer une culture de travail participative.
En créant des groupes de travail dans lesquels chaque membre de l’organisation pouvait s’engager, cette dernière est passée d’une institution enracinée dans son passé à un espace collaboratif. C’est un chantier d’autant plus complexe lorsque l’on fait cohabiter des profils très différents, avec des cultures de travail, mais aussi des enjeux variés.
Pour faciliter la collaboration, et ne pas faire peser ce chantier collectif trop lourdement sur les épaules de ses équipes, la clé est de créer des structures de travail les plus souples possibles. Fonctionnant sur la base du volontariat, et demandant beaucoup d’énergie et de motivation, le format doit être flexible : tout le monde peut entrer et sortir quand il le souhaite, les réunions sont les plus espacées et synthétiques possibles, etc.
Autre point important pour créer une vraie culture collaborative : donner le pouvoir à ses équipes. Aurélie a par exemple refusé de faire appel à un cabinet de conseil extérieur pour qu’elles restent propriétaires de cette démarche de redéfinition du Musée. La direction n’a de plus pas piloté les groupes de travail qui fonctionnaient en toute autonomie.
Le choix des outils de communication est lui aussi crucial. Une bonne solution peut être de créer des groupes Teams ouverts à tous et d’y partager la documentation pertinente afin que chacun puisse y accéder, quand il le souhaite.
Changer avec la société : l’importance d’être à l’écoute
Un autre défi auquel on peut être confronté lorsque l’on prend les rênes d’une institution bien établie, c’est son inertie face au changement. Lorsque l’on arrive à la tête du Musée de l’Homme, la question même de son nom, et de sa capacité à inclure tous les publics qu’il accueille, est délicate, en particulier à l’ère Post Me Too.
Là encore, Aurélie a fait le choix de l’écoute et du travail collaboratif en créant un nouveau groupe de travail dédié spécifiquement à un éventuel changement de nom pour le musée.
“Je pense que c'est vraiment une question à aborder puisqu'aujourd'hui il y a quand même toute une partie de la population qui ne se reconnaît pas dans cette appellation H majuscule. Moi, je ne suis pas du tout arrêté sur le sujet et je pense qu'il faut qu'on continue à en discuter pour prendre la bonne décision.”
C’est un équilibre délicat à maintenir, mais crucial pour accompagner la transformation de toute organisation. Le rôle de la directrice peut être de partager ses convictions, tout en sachant rester à l’écoute de ceux et celles qui ne les partagent pas pour ne pas imposer sa volonté (en particulier sur un sujet aussi central). Il faut aussi parvenir à se placer dans la position de convaincre, d’écouter les arguments contraire et de ne pas les glisser automatiquement sous le tapis.
Créer une culture interne inclusive sans tomber dans la cancel culture
L’importance du dialogue et de l’écoute ne se limite pas aux débats en interne. Elle est également cruciale pour ceux qui se tiennent entre l’institution et son public. Lorsque l’on représente un musée, et au-delà de changer son nom, il faut aussi porter un message inclusif dans lequel tout le monde peut se reconnaître.
L’enjeu est de ne pas tomber dans la cancel culture qui, même si elle permet de questionner notre histoire et de créer des discussions importantes, présente aussi le risque de réécrire l’histoire. Pour Aurélie, on ne peut pas effacer son passé. Et même si certains pans de notre histoire ne sont pas très glorieux, il est crucial de les replacer dans leur contexte et d’initier un dialogue qui ne tombe pas dans le débat stérile.
Encore une fois, il faut et l’on doit pouvoir parler de tout. Mais il faut aussi pouvoir en parler avec toutes les parties prenantes, et ne pas limiter ces débats aux seuls cercles d’experts.
“A partir de décembre, on va proposer des tables rondes sur des thématiques différentes. Ce sera un moment d’échange avec des experts, mais il y aura aussi une dimension participative avec le public qui prendra part au débat. Encore une fois, je ne minimise pas du tout le fait que le Musée de L'homme soit un musée scientifique. Mais que cette science, finalement, doit aussi se confronter à vous, à moi, à n'importe qui”.
Oser : la clé du succès !
Beaucoup de femmes n’osent pas encore prendre des postes de direction. Elles sont freinée par leur peur de ne pas être légitimes, mais aussi par celle de ne pas réussir à concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle.
“Je pense que c'est important d'avoir des exemples très différents avec des domaines de compétences différents, de voir que c'est possible, que ça existe et que non, on ne sacrifie pas forcément notre vie personnelle parce qu'on a un poste à responsabilités. Ca demande juste un peu d'organisation, mais on y arrive “
Ce déblocage se fera d’abord par un changement des méthodes de management. Et notamment le passage à une approche plus pragmatique de la gestion RH, qui soit consciente que nous avons tous une vie en dehors de notre travail et que cet équilibre est nécessaire pour être à 100 % dans ce que l’on fait.
Aurélie appelle également de ses vœux la création d’un réseau de directrices. Il est pour elle crucial de pouvoir échanger avec des personnes qui vivent les mêmes choses que nous et qui, en partageant leur expérience, nous aident à nous défaire de cette injonction à être toujours au top. Car on a beau être dans une position de pouvoir, nous n’en restons pas moins des êtres humains avec leurs aléas personnels, et donc leurs faiblesses.
Toute l'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin Ep.13 – On doit parler de tout. »
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