Que se passe-t-il quand on fait entrer des femmes dans un Comex, voire quand ce dernier est majoritairement féminin ? Ce n’est pas de la science-fiction pour Nadège Onderka, puisque tout au long de sa carrière, elle a eu l’opportunité d’évoluer dans des directions essentiellement féminines.
Aujourd’hui adjointe de la cheffe du département transformation digitale au ministère des Armées, Nadège a travaillé avant cela dans le privé et le public, au sein de grands groupes comme La Poste ou Danone, ainsi que dans l'univers des start-ups comme JobLine et PixiBox.com. Elle a atteint des fonctions de Direction Marketing Digital et Innovation en 2001, puis de DG en 2011 chez Castle Street Investment Group et enfin chez Beate Uhse. Sans oublier qu’elle a été présidente du réseau Les premières qui accompagne les femmes entrepreneures dans la réalisation de leurs projets.
Dans ce nouvel épisode, elle nous guide à travers les multiples facettes de sa carrière et nous partage ses conseils pour oser explorer des secteurs et des cultures organisationnelles différentes. Elle nous explique aussi comment elle a su gérer ces transitions, en mêlant management bienveillant et une belle capacité d’adaptation.

Varier les expériences professionnelles et les cultures organisationnelles
La particularité de Nadège est d’avoir beaucoup changé d’entreprises (en moyenne tous les 3-4 ans) et d’avoir évolué dans des secteurs et des contextes organisationnels très différents. Chaque poste lui a apporté des compétences ou une expérience qu’elle souhaitait acquérir pour faire évoluer sa carrière : une école du marketing et de la vente chez Danone, la possibilité de se frotter au web et d’arriver à des fonctions de direction chez Jobline puis PixiBox.
Dans son cas, cette évolution, non seulement sectorielle mais aussi hiérarchique, s'est faite naturellement, via le management. Mais aussi en se spécialisant dans le digital, un domaine souvent mal compris par les entreprises au début des années 2000, mais considéré comme un “mal nécessaire”.
Quelles que soient les verticales explorées, Nadège a pourtant gardé le même cap : travailler pour le client/utilisateur final.
“on travaille toujours pour un client, qu'on soit directeur marketing ou directrice générale. Il ne faut pas oublier qu'on travaille pour le client final. Donc on peut avoir des actionnaires qui eux ont des objectifs en fait de résultats, mais la personne qui compte c’est la clientèle finale”.
Rester user-centric
L’enjeu est donc, à mesure que l’on gravit les échelons, de ne pas se couper complètement du terrain. Dans le secteur du retail, cela peut passer par des visites en boutique afin de voir comment se comportent les clients, comment interagissent les vendeurs, etc.
Cela suppose aussi d’embarquer ses équipes dans les objectifs de performances de l’organisation en leur partageant de manière transparente les résultats qu’elle souhaite atteindre et en corrélant, en partie, leur rémunération sur les chiffres obtenus.
Cet intéressement des salariés ne se limite d’ailleurs pas forcément aux performances quantitatives,mais aussi qualitatives. Nadège garde dans son radar les soft skills de ses collaborateurs.
‘Il y a quelque chose de magique. Pour moi justement, c'est presque plus facile d'aller sur les soft skills parce que c'est personnel. Quand on travaille avec bienveillance, on trouve toujours des qualités chez les gens. Et s'il y a des points d'amélioration, et bien charge à l'équipe, au management et à la société d'aider le collaborateur à s’améliorer. “
Se faire une place dans un secteur digital de plus en plus masculin
Parmi les domaines qu’elle a explorés, Nadège a donc évolué au sein de startup à des postes centrés sur le digital. On en est encore aux balbutiements des startups de la tech qui sont à l’époque beaucoup plus inclusives. Même si on a souvent tendance à l’oublier, nous devons de grandes innovations comme le code ou le GPS à des femmes (en l'occurrence Ada Lovelace et Glady West). Mais à ses débuts (et donc avec une pression moindre que celle qui l’entoure aujourd’hui), le secteur est plus égalitaire et les femmes y postulent plus facilement.
Aujourd’hui, les femmes ont tendance à déserter le milieu, d’où l’importance des associations et collectifs qui militent pour qu’elles y retrouvent leur place.
“Au ministère des Armées, on a les Jeunes filles et le numérique pour les inciter, pour présenter en fait aux collégiennes et lycéennes tous les métiers du numérique et leur dire que c'est accessible, que ce n'est pas réservé aux garçons. Il y a un changement culturel qui s'opère et qui doit s'opérer pour que dans les écoles, dans les lycées, on accompagne les jeunes femmes et qu'on leur dise : Vous pouvez tout faire, vous pouvez aller dans le numérique, ce n'est pas réservé aux garçons et ce n'est pas réservé à ce qu'on fait des écoles d'ingénieurs”
Il est aussi crucial, pour retrouver plus de parité dans la tech, d’accompagner les RH. En effet, les stéréotypes de genre ont encore la vie dure dans le processus de recrutement, et les entreprises ne se concentrent pas toujours sur les compétences des candidats ainsi que leur capacité à évoluer.
C’est aussi pour cette raison qu’un réseau comme Les Premières accompagne les femmes sur les soft skills, notamment pour qu’elles se sentent plus légitimes à demander des salaires équivalents à ceux des hommes et affirment mieux leur valeur.
Faciliter la transition à un poste de direction en adoptant les codes en place
En plus d’évoluer dans un environnement très masculin, Nadège décroche également des rôles de direction. Ce qui fascine (alors que personne ne tique lorsqu’il s’agit d’un homme) c’est de la voir passer d’un poste de directrice marketing digital et innovation à celui de DG, sans se poser de question. Nadège s’est vu proposer une belle opportunité et elle l’a saisi, sans hésiter.
Pour assurer la transition sur des sujets nouveaux pour elle, comme la finance, elle n’a pas hésité à se former. Mais elle a surtout su se faire une place dans cette nouvelle entreprise, Castle Street Investment Group, et à ce nouveau poste, en adoptant les codes déjà en vigueur.
“Ma stratégie, c'est d'accepter les codes et de garder les habitudes qu'ils avaient avant. Ce n'est pas dérangeant à partir du moment où le boulot est fait et qu'il y a aussi ce temps commun entre les équipes.”
Cela suppose de revoir ses habitudes, voire ses horaires, pour trouver sa place dans des équipes techniques qui fonctionnent différemment, mais qui sont néanmoins centrales pour le succès de l’entreprise. Nadège adopte ainsi la stratégie du bureau tournant, pour rester au plus près de ses collaborateurs, tout en veillant à ne pas se montrer trop intrusive.
“Il ne faut pas oublier qu’on est tous passés par là, on a tous eu des boss. Le fait de dire tu passeras me voir dans mon bureau, c'est anxiogène, ça fonctionne à tous les âges, tout le temps. Donc il faut y penser et se dire : on se voit à ton bureau ou dans mon bureau, comme tu veux. Ça permet d'enlever le côté Waouh !”
Les codir féminins sont des codir comme les autres
Tout au long de sa carrière, Nadège a eu la chance (car ils sont encore rares), d’évoluer dans des Codir presque exclusivement féminins. Et à l’écouter, on y parle, comme dans n’importe quel Codir, de chiffres et de performances. On voit d’ailleurs fleurir sur les réseaux des vidéos dans lesquelles on se prend à imaginer comment tournerait le monde si c’était des femmes qui le gouvernaient… Et il en ressort que, sans les batailles d’égo que l’on peut retrouver dans les espaces plus masculins, les décisions seraient prises nettement plus rapidement.
“Il n’y a pas de problème d'ego. Les gens parlaient plutôt d'eux, de prospective, de présentation de ce qu'on pourrait faire, de ce qui se passe dans les autres pays ou dans les autres sociétés, c'est plutôt hyper intéressant.”.
Les femmes, moins habituées à se mettre en avant, ont donc plus tendance à se concentrer sur le factuel, à communiquer sur la manière dont elles font leur job. Une attitude qui montre que ce n’est pas parce que l’on féminise se les Comex que l’on doit nécessairement y reproduire les codes masculins (en se mettant en avant, en prenant le plus de place possible). A l’inverse, il serait plutôt positif pour les organisations d’adopter une attitude plus “féminine”, et donc plus centrée sur les performances et les résultats.
La bienveillance au coeur du management
Une autre qualité que l’on attache souvent aux femmes dans le monde du travail, c’est la bienveillance. Et pourtant, même si cela semble antinomique avec le caractère très hiérarchique (et presque viril) de l’armée, Nadège a retrouvé dans son Ministère un management très bienveillant.
C’est certainement parce que, de par son cœur de métier (marqué par l’urgence et la loyauté), l’armée est naturellement plus ouverte à la transformation. Lorsqu’elle rejoint le Ministère des Armées, Nadège conforte ce management bienveillant en recrutant des profils qui ne se ressemblent pas forcément, mais dont elle sait qu’ils peuvent s’entendre et donc travailler harmonieusement.
Si cette qualité est difficile à déceler dans un CV, on peut plus facilement s’en faire une bonne idée en entretien :
“C’est quelque chose que l’on arrive à voir en posant des questions sur la façon dont les gens ont envie de travailler, puis en leur demandant aussi lors des entretiens de recrutement : qu'est ce qui ne vous plaît pas au niveau du management? Qu'est ce qui ne vous plaît pas au niveau de l'environnement de travail? Qu'est ce que vous ne supportez pas ? C’est en allant au-delà des compétences professionnelles qu'on arrive à voir la personnalité des gens”.
Et c’est cette boussole de bienveillance, que l’on distille dans son management et que l’on cherche chez ses collaborateurs, qui permettent de faire évoluer une culture organisationnelle dans le bon sens. Car au regard de ce qu’il se passe en France comme à l’international, le combat de l’égalité est loin d’être gagné. Il faut donc continuer, sans relâche, à militer pour un féminisme positif et plus d’inclusivité en entreprise.
L'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin S2Ep10 – Nadège Onderka, Cheffe Adjointe du département transformation digitale du ministère des armées – « Dans ma tête, DG, Wow ! »
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