avec Ingrid Vanhée, DGA de Noé
Pour ce nouvel épisode du Pouvoir au Féminin, nous retrouvons Ingrid Vanhée. Suite à son année au contact du vivant, elle est aujourd’hui DG Adjointe de l’association Noé. Après le pas de côté de nos premiers échanges nous la retrouvons pour parler d’inaction, d’humilité et pour approfondir les parallèles entre nos organisations et le vivant.
Avec Ingrid, nous évoquons aussi les enjeux écologiques et les considérations managériales qu’ils impliquent pour protéger ses collaborateur.ices mais aussi transformer durablement nos entreprises.
Adopter une posture professionnelle plus humble
Lorsqu’elle reprend le travail après son année de pause, Ingrid fait le choix non pas de lancer son propre projet, mais de revenir en entreprise. Une démarche d’humilité qui consiste non pas à vouloir révolutionner les choses, mais plutôt à regarder ce qui se fait déjà et réfléchir au meilleur moyen d’y apporter sa contribution.
Lorsque l’on arrive à un nouveau poste, on a en effet souvent le réflexe de vouloir tout changer. Or les équipes sont souvent épuisées par ce changement constant. Il est beaucoup plus productif d’écouter les personnes déjà présentes et de puiser dans leur expérience pour faire un état des lieux.
Cette posture d’écoute et d’humilité permet non seulement d’apporter une aide beaucoup plus précieuse à l’organisation que l’on rejoint. Mais avant cela, elle est aussi nécessaire pour trouver la voie qui nous correspond le mieux.
“Le plus dur, c'est de ne pas tout de suite s'embarquer dans un nouveau truc avant d'avoir fini son cheminement personnel, sa réflexion sur ce à quoi on veut contribuer pour de vrai.”
Ce moment de flottement que représente souvent une nouvelle prise de poste nous pousse aussi à chercher un équilibre précaire entre l’urgent et le temps long. Dans un monde qui évolue très vite, on a envie d’agir très vite. Or bien souvent, quand on est dans l’urgence, et donc dans la réaction, on se trouve souvent de sujet.
Même si c’est plus facile à dire qu’à faire, il faut réussir à évaluer les priorités pour déterminer quand le mieux que l’on puisse faire est de prendre la moins mauvaise décision, et quand on peut faire un pas de côté pour construire quelque chose de durable.
L’éloge de l’inaction
Cette posture d’humilité peut aussi nous amener à réévaluer la nécessité d’agir. Car parfois, la meilleure chose à faire… C’est de ne rien faire ! Dans le célèbre discours de Gap prononcé dans les années 1950, l’écrivain Paul Gadenne nous mettait déjà en garde contre l’action.
A force de s’agiter constamment, on finit par reproduire les mêmes schémas, à remplir nos agendas de nouvelles réunions sans rien construire de durable.
“On peut vivre très bien en faisant beaucoup, moins de choses. Je lie beaucoup l'inaction avec la diminution de l'impact qui n'est pas du tout tendance. Mais il faut faire moins pour avoir moins d’impact. Car notre impact est souvent négatif, surtout sur l’environnement.”
Quand on observe le vivant, on se rend en effet compte que sa pérennité est directement corrélée à sa capacité à ne pas laisser de trace. C’est une logique que l’on devrait réussir à adopter au travail, plutôt que de chercher à marquer l'organisation de notre sceau. Or si chacun d’entre nous veut absolument avoir un impact, laisser sa trace, la Terre deviendra rapidement un espace inhabitable.
Même si cela nous paraît complètement contre-intuitif lorsque l’on prend un nouveau poste de direction, mieux vaut réfléchir avant de vouloir tout chambouler. Les priorités ne sont souvent pas là où on les pensait.
“Est ce que la priorité ça ne serait pas de changer le modèle de production pour sauvegarder les ressources ? De faire en sorte que les gens qui travaillent pour vous soient plus heureux ? Il y a quand même pas mal de choses qui peuvent être améliorées, dans notre manière de fonctionner, de vivre et de produire. “
Questionner la notion de performance
Observer le vivant ne remet pas uniquement en cause la notion d’action, elle questionne également celle de performance. Car pour survivre, la nature est sous-performante.
Dans le monde économique, la quête de la performance est elle aussi vouée à l’échec. Elle consiste en effet à produire plus dans un contexte donné. Or dans un monde qui évolue à vitesse grand V, on est jamais à l’optimum.
Plutôt que de vouloir atteindre des performances optimales (ce qui est impossible), nous devrions plutôt chercher à être plus résilient. Ingrid prône le passage d’un modèle économique capitaliste à un modèle régénératif.
Si on part du principe que les ressources nécessaires à notre activité sont limitées, il faudrait alors repenser son modèle pour que notre activité soit capable de régénérer ses ressources et participe à faire perdurer nos conditions de vie sur Terre. C’est une approche non seulement plus soutenable sur le plan écologique, mais aussi économique, puisque de la santé financière de l’entreprise découle sa capacité à mener à bien sa mission.
Faut-il forcément croître pour survivre ?
Passer d’un modèle axé sur la croissance à une vision centrée sur la résilience et la régénérescence est un véritable changement de paradigme au niveau économique, mais aussi managériale. En effet, beaucoup d'entreprises appuient leur capacité à attirer et retenir les talents sur leur adhésion à une vision et un avenir commun.
Or on peut embarquer ses collaborateurs sans leur faire la promesse de développer l’entreprise, ou en tout cas pas nécessairement sur une promesse de croissance du chiffre d’affaires. La croissance peut aussi englober le bien-être des équipes, la satisfaction des clients. Challenger le statu quo est même une nécessité pour ne pas s’endormir sur des modèles qui ont perdu de leur pertinence.
“Il y a plein d'autres choses sur lesquelles on peut être challengé et sur lequel on peut embarquer des équipes. Et c'est peut-être ça qui est vraiment ambitieux. En fait, la recherche de croissance à tout prix, c'est presque la solution de facilité parce que c'est ce à quoi on a été biberonnés.”
Pour les entreprises, cela passe par faire le deuil de son ancien modèle et comprendre qu’il n’y a pas de solution évidente pour en changer. La plus intéressante sera généralement de revoir sa raison d’être et de ne pas la décliner en croissance. Pour remettre le vivant au cœur de sa mission, une entreprise de cosmétiques peut ainsi se fixer l’objectif non pas de vendre plus de produits, mais de rendre leur dignité à ses clients en faisant de l'hygiène un luxe plus accessible.
Concurrence ou collaboration ?
Placer le vivant au cœur de sa raison d’être permet aussi de remettre en perspective le rôle de la compétition.
“Ce qui est très intéressant quand on regarde la nature, c'est que la prédation n'est pas du tout le mode d'interaction privilégié. Pourquoi? Parce que c'est hyper énergivore, hyper chronophage, que c'est complètement sous optimal”.
La majorité du temps, les organismes vivants sont en symbiose. Ils sont dépendants les uns des autres et doivent créer du lien pour survivre. De la même manière, les entreprises peuvent apprendre les unes des autres (en rejoignant des clubs, en partageant leurs connaissances en open source). Cela leur permettra d’utiliser les ressources qu’elles ne dédient pas à déclarer la guerre à leur concurrents pour identifier ce qui les rend uniques.
Quels conseils pour les directrices de demain ?
Si Ingrid nous invitait un peu plus haut à prendre le temps lorsque l’on arrive à un nouveau poste, elle conseille aux directrices de demain de ne pas en perdre en travaillant pour des entreprises qui ne les méritent pas.
Lorsque l’on commence sa carrière, on est souvent tentées de faire des compromis. Pour se projeter dans un futur plus désirable, on en vient à accepter un présent qui n’est pas aligné avec nos valeurs. Or nous n’avons plus le temps de réfléchir ainsi : il faut agir maintenant au risque de se perdre en chemin.
Pour s’assurer que notre future organisation est sur la même longueur d’onde que nous, le plus important est de s’assurer qu’elle veuille changer. Et donc qu’elle a mis en place le terreau propice à cette transformation.
‘Moi, le premier élément que je regarde, c'est si l'entreprise pense qu'avec une personne, elle va réussir à résoudre le problème. Je ne crois pas du tout à la personne providentielle. Cela implique une énorme pression pour la personne qui va arriver et une désillusion pour l'entreprise. “
N’oublions pas que malgré son origine étymologique, le travail n’est pas une torture. Or se battre contre des moulins et penser que l’on peut changer toute une organisation par ses propres moyens, ce n’est pas seulement de l’ego mal placé. C’est surtout dangereux pour sa santé et nous avons besoin de la préserver si nous voulons préserver les écosystèmes.
Toute l'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin Ep.10 – « Il est urgent de prendre le temps. »
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