Le sujet des liens entre la parentalité et le monde professionnel est délicat. Souvent opposées, les liens qui existent entre ces deux sphères sont aujourd’hui mis en avant, voire même valorisés.
C’est un parallèle que fait Mathilde Dégremont, qui évolue dans le conseil depuis 2008 et est actuellement directrice chez Vertuo Conseil. Mathilde traite notamment du sujet de la parentalité en entreprise et des parallèles entre éducation et management dans son livre “Le management en pratique, comment construire votre propre méthode” ainsi que sur sa chaîne YouTube.
Elle y défend l’intuition et la confiance en soi comme compétences managériales et propose des méthodes d’accompagnement pédagogique pour trouver le manager qui sommeille en nous.
Ensemble, nous avons échangé sur l’intérêt de faire converger les compétences parentales et managériales dès lors qu’elles sont tournées vers l’automatisation et la responsabilisation. Nous avons aussi évoqué la lente évolution du monde du conseil sur la parentalité femmes/hommes.
Appliquer le lâcher prise de la parentalité à son style managérial
La prise de conscience sur les aspects positifs de la parentalité et ce qu’elle peut apporter au monde de l’entreprise, est assez récente. Notamment parce que le simple fait d’évoquer sa parentalité est de moins en moins tabou, même si les conséquences que cela peut avoir restent assez différentes entre les hommes et les femmes (ces dernières se voyant plus facilement et durablement collées l’étiquette de maman).
Pour Mathilde, évoquer son statut de parent n’est pas tabou, bien au contraire, puisque cela n’entrave pas mais enrichit sa carrière. La parentalité peut en effet nous apprendre à lâcher prise, une soft skill d’autant plus importante que le micro-management est aujourd’hui décrié.
En tant que manager, savoir lâcher prise permet en effet de se concentrer sur le résultat attendu, et non pas sur la méthode employée par ses collaborateurs.
“En devenant maman, je trouve que j'ai développé ou approfondi un certain nombre de compétences, notamment le lâcher prise. En tant que jeune consultante, j'avais envie de tout contrôler, m'assurer que tout ce qui était fait a été fait à ma manière, avec mes méthodes. Et quand je suis devenue maman, il a fallu que j'apprenne à lâcher prise par rapport à tout ça, notamment parce que j'ai commencé à confier ma fille. “
Adapter les outils de l’entreprise à la vie parentali, et vice versa
Beaucoup de parents ont adopté une nouvelle approche de la parentalité durant le Covid, le rapport avec leurs enfants ayant forcément évolué en raison du confinement. Sur sa chaîne YouTube, Mathilde présente par exemple les outils qu’elle a emprunté au management pour approfondir l’éducation qu’elle donne à sa fille, comme la rétrospective de la méthode Agile ou encore l’arbre à personnes (qui permet aux enfants comme aux collaborateurs qui vivent une transformation organisationnelle de mieux exprimer leurs émotions).
Lier parentalité et management est aussi un moyen intéressant de se concentrer sur les questions plutôt que sur les solutions. Dans les deux cas, les personnes concernées sont en effet les mieux placées pour faire émerger les outils adaptés, étant données que ce sont elles qui connaissent le mieux leurs enfants et leurs collaborateurs.
Dans son livre Reinventing Organizations, Frederic Laloux insiste par exemple sur l’importance de ne pas exiger de ses collaborateurs qu’ils scindent en deux leur vie professionnelle et personnelle. Mathilde a repris à son compte ce concept pour organiser au sein de son entreprise une journée famille. Cet événement fédérateur a non seulement créé de l’engagement au sein de ses équipes, mais aussi des liens plus solides entre elles.
Jeter des ponts entre la parentalité et la vie professionnelle permet aussi de mieux prendre en compte les difficultés que peuvent rencontrer ses employés. Et notamment d’offrir un accompagnement plus adapté à ceux qui reviennent d’un congé maternité ou paternité, alors que ce retour est souvent considéré comme un non-événement dans de nombreuses organisations.
Le servant leadership : se mettre au service de ses équipes
L’expérience de la parentalité peut aussi être l’occasion de faire évoluer son style de management pour adopter une posture de servant leadership. Cette idée, qui a émergé avec celle des entreprises libérées, consiste, comme son nom l’indique, à se mettre au service de ses équipes puisque ce sont elles qui apportent la valeur finale aux clients.
Le rôle du manager est donc de leur apporter ce dont elles ont besoin : de l'information, un cadre de travail agréable, des opportunités de co-construction. Le servant leader, comme le parent, apprend aussi à lâcher prise en partant du principe que ce sont ses équipes qui sont expertes dans leur domaine, et donc les mieux à mêmes de prendre les bonnes décisions.
Sortir de la logique pyramidale qui a pu prévaloir pendant de nombreuses années dans son organisation demande du temps, mais aussi beaucoup de confiance en ses équipes. Cela peut se compliquer lorsque l’on occupe un poste de direction, et que l’on compte donc sur des intermédiaires.
Dans ce contexte de management de managers, c’est le principe de cascade, mais aussi d’exemplarité, qui se révèleront bien souvent indispensables. C’est en montrant l’exemple dans ses propres pratiques que l’on peut s’assurer (dans la mesure du raisonnable) qu’elles soient adoptées par les personnes que l’on manage et qui managent leurs propres équipes. Le lâcher prise, là encore, permet aussi d’accepter que notre méthode n’est pas forcément la bonne pour tout le monde et dans tous les contextes.
Comment avancer sans confiance ?
Toute la complexité du servant leadership est que l’on ne choisit pas toujours ses collaborateurs (ou les personnes à qui nous confions nos enfants), et donc qu’on ne peut pas toujours leur faire confiance. Dans ce contexte, nous n’avons souvent pas d’autre choix que de nous adapter à une autre manière de faire, ce qui renforce là encore notre posture d’humilité et notre remise en question.
Attention néanmoins, car l’injonction à l’adaptation peut avoir ses limites, et même pousser certains au burn out. Pour éviter ces travers, la clé est de se demander pourquoi on fait les choses, comment intégrer ces nouveaux processus à notre manière de fonctionner, nos besoins.
“À chaque fois qu'il y a un nouveau rituel, de nouvelles choses à faire, on se demande qu'est ce que ça veut dire, pourquoi est ce qu'on le fait ? Est ce que je peux adapter ce rituel pour qu'il réponde à nos besoins ? Donc au final, on n'est pas en train de suivre à la lettre ce qu'il a écrit dans tel grand manuel, mais on se pose les bonnes questions”.
Cette capacité à se questionner et à faire preuve d’humilité dans nos choix managériaux est aussi un bon moyen de ne pas se laisser emporter par l’effet de mode. Si la popularité d'une approche ou d’un outil peut indiquer qu’il y a quelque chose d’intéressant à creuser pour sa propre organisation, on est plus dans le simple copier-coller mais plutôt dans une dynamique de test & learn jusqu’à trouver la formule qui correspond le mieux à nos attentes.
Déconstruire le paternalisme et la charge mentale en entreprise
L’humilité est une puissante boussole pour éviter de tomber dans l’un des principaux pièges des liens entre parentalité et management : le paternalisme. En se concentrant sur la manière dont ces liens peuvent nous aider à autonomiser et responsabiliser (nos enfants comme nos collaborateurs), on évite donc de prendre les seconds pour des enfants, et les premiers pour des adultes.
A la maison et en entreprise, les questions sont souvent les mêmes, ce sont les réponses qui changent puisque l’on ne s’adresse pas aux mêmes personnes. Néanmoins, l’ouverture que l’on présente à nos enfants en tant que parents (et que l’on serait tenté d’insuffler autant que possible dans les écoles) permet de commencer à les mettre dans un mindset qui leur servira plus tard dans leur carrière professionnelle.
Ces parallèles entre vie pro et perso sont aussi très bénéfiques pour se libérer de deux poids qui pèsent lourd sur les parents qui travaillent : la charge mentale et la culpabilité. Notre capacité à tisser des liens entre ce que nous vivons avec nos enfants et nos collaborateurs (comme par exemple les parallèles entre le servant leadership et l’approche Montessori) permet de créer un cercle vertueux dans lequel chaque facette de notre existence enrichit l’autre.
“On parle beaucoup de séparer la vie privée et la vie professionnelle. Moi, je ne suis pas du tout du tout dans cette relation là, mais plutôt dans une relation d'enrichissement mutuel. Et à partir du moment où j'ai pris conscience de tout ça, ma charge mentale a pas mal diminué. Parce que, au lieu de culpabiliser en me disant je suis au travail, je ne suis pas en train de m'occuper de ma fille et inversement, je me dis plutôt que le temps que je passe à un endroit va servir à l’autre”.
Refuser de se compartimenter permet indéniablement de se simplifier la vie, mais aussi de créer un ruissellement bénéfique aussi bien à notre entreprise qu’à nos enfants. C’est aussi une approche intéressante pour ne pas atteindre trop vite le seuil de Peter puisque tout ce que l’on fait devient un vecteur de motivation et d’évolution,
Toute l'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin Ep.16 – « Je ne culpabilise jamais de passer du temps, ni avec mes collaborateurs, ni avec ma fille. »
Développement très intéressant sur le servant leader