Grimper les échelons, arriver à des postes de direction et avoir le pouvoir de faire changer les choses (vers plus d’égalité hommes/femmes au travail, par exemple), ce n’est pas qu’une question de volonté ou de trajectoire personnelle, c’est aussi énormément une question d’environnement : être dans un cadre à la fois professionnel et personnel qui nous permette de prendre les bonnes décisions, et d’être dans de bonnes dispositions pour prendre pleinement ce pouvoir d’impacter.
Pour échanger sur cette notion d’environnement, j’ai eu l’opportunité de rencontrer Céline Stein. Elle fait partie des 30 % de diplômées d'école d'ingénieur puisqu’elle a suivi son cursus à Centrale Supélec. Après de premières expériences dans les énergies dites vertes et le développement, elle rentre chez Siemens via le programme CEO, qu’elle quitte au bout de deux ans à un poste de directrice sécurité.
Céline est aujourd'hui co-directrice d’Octopus Énergy France, anciennement Plume Énergie, qui est un service d'énergies renouvelables qui va de la production aux consommateur.ices. Dans nos échanges, nous avons beaucoup abordé la question de l’habitude d’être potentiellement la seule femme à qui les hommes vont parler dans la journée et comment cela impacte notre leadership et notre vision du pouvoir.
Le pouvoir et la légitimité de faire bouger les choses
Comme beaucoup de femmes, Céline a longtemps eu peur de la notion de pouvoir, qui renvoyait pour elle à l’autorité (voire à l’autoritarisme) et à la hiérarchie. Elle y attache désormais une vision plus positive, empreinte de liberté et d’autonomie. Une liberté qui ne peut d’ailleurs s’épanouir réellement que lorsqu’elle est encadrée.
“Je suis d'accord avec le côté carré et je suis quelqu'un qui aime bien l'organisation. C'est ce qui me permet d'avoir confiance en moi et d'être rassurée au jour le jour parce que tout est bien organisé. Donc je sais que j'ai fait ce que je devais faire, que j'ai pris le temps de me concentrer sur les choses importantes. Par contre, je pense que c'est important de pouvoir faire appel à d'autres pour confronter ses décisions, pour apprendre à grandir, surtout quand on est plus jeune qu’on sort d’école”.
La liberté de faire bouger les choses ne demande pas que de la confiance en soi, mais aussi une bonne dose de légitimité. Car lorsque l’on arrive dans une nouvelle organisation, on nous ramène souvent au statu quo… “Ici, on fait les choses comme ça”. Des initiatives comme le programme CEO, sponsorisé par la direction, via lequel Céline a intégré Siemens, permettent aux nouveaux arrivants d’avoir la légitimité nécessaire de faire évoluer des habitudes pourtant bien ancrées.
Fake it until you make it
Pour revenir à cette notion de confiance, si difficile à conquérir lorsque l’on débute sa carrière (ou que l’on arrive à des hauts postes, dans un environnement très masculins), nous sommes parfois contraintes de la singer. L’idée, c’est de faire semblant d’avoir confiance en soi, jusqu’à temps que cette confiance devienne bien réelle.
“Moi je pense qu’arriver à faire bouger les choses, à être prise au sérieux, ça passe au début par faire semblant d'y croire soi même, faire semblant d'avoir cette légitimité, d'avoir cette assurance jusqu'à ce que ça vienne tout seul.”
Attention de ne pas tomber dans le piège de l’égo, et de finir par croire à notre légitimité de manière un peu trop catégorique. Pour Céline, l’enjeu n’est pas de faire semblant de tout savoir, mais uniquement d’avoir confiance en soi. Cela passe par garder une part d’humilité, d’accepter ses propres angles morts, mais en même temps de rassurer ses équipes en leur montrant qu’elles peuvent compter sur nous.
On n’aura ensuite plus besoin de faire semblant lorsque l’on aura gagné en expérience, en expertise, et surtout que nos collaborateurs viendront nous demander de l’aide d’eux-mêmes. Car un bon manager ne se concentre pas sur la validation de sa hiérarchie, mais de ceux et celles qu’il doit servir (ses équipes et ses clients).
Ne pas perdre les pieds quand on monte les échelons
Dans le monde de l’entreprise, et en particulier de l’ingénierie, on oppose souvent les experts aux personnes de terrain. Alors que précisément, il est crucial pour les premiers d’écouter les seconds, qui sont au contact des clients et comprennent beaucoup mieux leurs besoins.
Difficile pourtant de garder ce contact avec le terrain (et ses bénéficiaires) lorsque l’on grimpe dans la hiérarchie. Pour ne pas perdre pieds, Céline nous conseille de :
Ne pas ajouter des échelons hiérarchiques inutiles ;
Prendre le temps, chaque semaine (pendant au moins une heure dans son cas) de répondre aux mails de ses clients. Une bonne hygiène personnelle qui permet de garder de la proximité avec son terrain, mais aussi avec le support client dont les retours sont extrêmement précieux pour identifier ce qui doit être amélioré. C’est un peu le principe de la culture Opale de Frédéric Laloux, dans laquelle les décisions sont toujours prises au plus proche du client.
L’importance de l’environnement de travail sur l’arrivée des femmes aux postes de direction
Pour beaucoup de femmes qui montent les échelons, cette ascension est souvent une expérience solitaire. Dans les entreprises, on considère encore trop souvent que lorsque l’on arrive à un tel niveau, c’est que l’on a pas besoin d’être aidé. A l’inverse, les petites structures (où le nombre d’employés est réduit) prennent plus le sujet à bras le corps et créent même des canaux dédiés pour faciliter les échanges.
Mais avant même d'arriver à un poste de direction, il faut pouvoir compter sur un environnement bienveillant qui permet cette ascension. Cela se joue aussi bien :
à la maison (notamment au moment de la parentalité, lorsqu’il nous faut nous décharger d’une partie de la charge mentale domestique),
mais aussi en entreprise (avec l’assurance de pouvoir porter ces deux projets de front, sans que cela n’impacte négativement notre carrière).
Cette notion d'environnement est importante car elle nous permet d’être indulgente avec nous-même (car tout ne dépend pas de nous).
“Il faut être indulgente avec soi-même, particulièrement en ce moment. Et ça je le dis particulièrement aux femmes parce que je pense qu'on a plus de pression de tous les côtés. Il faut être belle, il faut être mince, il faut être courageuse, il ne faut pas pleurer, il faut sourire quand ça ne va pas. Et puis il faut aussi quand même avoir de l'ambition dans sa carrière, travailler et s'occuper des enfants en même temps, etc.”
Maintenir des valeurs sororales dans une entreprise en pleine croissance
L’importance de l’environnement pose aussi la question de sa préservation, en particulier lorsque l’entreprise est en pleine croissance. Il est en effet plus difficile de maintenir ses valeurs fondamentales lorsque l’organisation et les effectifs grandissent rapidement. D’autant plus que, tout bienveillant qu’il soit, aucun environnement n’est parfait (ni autonome). Nous vivons dans une société profondément inégalitaire, et il serait utopique de penser que l’on peut complètement effacer les discriminations.
Pour les limiter autant que possible, on peut :
Bien baliser la phase de recrutement, en intégrant des questions sur les valeurs (celles du candidats, celles perçues de l’entreprise) ;
Répéter ses valeurs régulièrement au travail et organiser des évènements qui permettent de fédérer autour d’elles ;
Proposer des formations ;
Mettre en place un système d’alerte pour faire remonter les problèmes et pouvoir lancer ensuite une enquête externe.
Cela suppose aussi de créer des espaces de sororité, où les femmes peuvent échanger sur les problématiques qu’elles rencontrent, les insécurités qu’elles peuvent ressentir, ou même juste s’échanger des médicaments et des protections hygiéniques.
Il est aussi important, malgré les barrières claires qui sont posées (sur ce que l’on peut dire et faire notamment) de maintenir la discussion ouverte. Cela permet aux personnes que cela peut mettre mal à l’aise ou pour qui la déconstruction est plus compliqué d’exprimer leur ressenti.
Mais aussi de ne pas aller dans la dynamique inverse et de sédimenter les identités (ce qui peut décourager par exemple les collaborateurs à faire leur coming out de peur d’être recruté ou augmenté pour ça). Cela peut passer par le fait de suivre des statistiques ou encore de mettre en place des comités de surveillance sur ces sujets sensibles (comme l'augmentation, par exemple, que les femmes ont encore tendance à moins demander).
Etre dans l’action plutôt que dans la déclaration
Créer un environnement bienveillant, défendre des valeurs au sein de son organisation, cela se fait plus que cela ne se décrète.
“C'est ce que mon père m'a appris : fais attention aux valeurs qui sont affichées par l'entreprise parce que c'est en général ce qu'elle n'a pas. Elle les affiche parce que c'est ce qu'elle aimerait bien avoir, en se disant qu’avec un peu d'espoir, en les mettant sur un site ou sur un flyer, les gens vont finir par croire que ce sont de vraies valeurs et commencer à y adhérer”
Pour faire la différence entre les valeurs défendues et les valeurs affichées, Céline conseille encore une fois de poser les bonnes questions en recrutement, comme par exemple ce qui décevrait le candidat dans l'entreprise, ce qui le ou la pousse à se lever le matin. C’est aussi une expérience que l’on fait dans l'organisation elle-même et en réalisant un sanity check (en particulier au début) pour s’assurer que ce que l’on vit est bien conforme à nos valeurs.
Toute l'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin S2Ep3 – Céline Stein, DG d'Octopus France - "Une fois qu'on devient vraiment utile à son équipe, là, on a confiance en soi."
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